Le tirage au sort - Lettre en patois
Cette lettre écrite en patois vers 1882 par Eric Henrionnet, valet de chambre est adressée à Léonor Heuillon demeurant à Brillon. Elle a pour thème le tirage au sort du numéro pour les appelés au service militaire. En effet, depuis 1818, le recrutement se fait par engagement et tirage au sort et depuis 1872, le service dure 5 ans. Les appelés tirés au sort ont le droit de se faire remplacer par une personne tierce. Le remplaçant négocie avec l'appelé et sa famille une compensation financière en échange de son engagement. Charles le fils de Léonor Heuillon et de Clémence Thémelin semble avoir tiré le bon numéro et ne fera qu’un an tout au plus. Le tirage se faisait semble t’il au chef lieu de canton, puisque la lettre parle d’Ancerville.
J’avons été maou ase tous lo daou au matin quand le piéton né bayi vote lettre. Ca, ce n’ost rin de le dire comme je songins a vous tourtous d’a cause de vote Charles pou se numéro. J’a disin tou lo jous que ve douvrin aller vor inne sommanbule pou li a faiere avoie in bon. Mâ vla qu’il ot bin chut, ve douvo éte maou iase. Si j’avin saoulement été à Brillon pou na rajoyi avo vous. Comme j’arin remingie et comme j’arin rebu a la santé de se bon marchie. Padant qu’il atot a Yancerville la porre Clémence douvot avoie de rude demingisons dan le dou. Ca douvot lé faiere éssuti de le santi ature le bon et le manre. Ma astaoure bé fut gnie pu besoin de la rape. Vla le manre derie, on zot sure qui ne feré qu’in an tout au pu. J’a son aussi content que vous tourtous. Ca y paraît qu’on not guaire aussi bin souldat astaoure, y fayot miaou dans la garde nationale de Rumont, iaou que ç’atot tourtou chef. Si v’avin yac a dire, aou quelque coumission pou le jule Grevy, serot bin vlantée, je demorons à couté de lou mer. Je le voyon tous lo jou et lou genre aussi, ve voyero. Vla enne belle atlaie que je venneuie avot daou patois. Mâ ça fat toujou plasi doyi la lingue daou pays. Fayos bin mardi gras comme si de rin n’a fut et souhay domezen ma pa aou bin gardonne lé pou quand je virons ve vor. Rabrassez bin la Clémence pour min et pou la Lisadie et peuie vote Charles et quand ve voierot note Gaston ve l’abrassero aussi. Oh la la j’an a mo dan le dou.
Eric.
traduction : Vous avez bien été aise tous les deux au matin quand le facteur à donné votre lettre. Cela n’est rien de le dire comme je songeais à vous tous à cause de votre Charles pour son numéro. Je disais tous les jours que vous devriez aller voire une voyante pour lui faire avoir un bon numéro. Mais voila qu’il est bien tombé, vous devez être bien aise. Si seulement j’avais été à Brillon pour me réjouir avec vous. Comme j’aurais mangé et comme j’aurai bu à la santé de ce bon marché. Pendant qu’il était à Ancerville, la pauvre Clémence devait avoir de rudes démangeaisons dans le dos. Cela devait l’ennuyer de le sentir entre le bon et le mauvais. Mais à cette heure, il, n’y a plus besoin de la râpe. Voila le mauvais derrière, on est sur qu’il ne fera qu’un an au plus. J’en suis très content pour vous tous. Il parait qu’on est guère aussi bien soldat à cette heure, il serait mieux dans la garde nationale de Rumont, ou qu’ils sont tous chefs. Si vous avez quelque chose à dire, ou quelques commissions pour le Jules Grévy, se sera bien volontiers, nous demeurons à coté de la mer. Je le vois tout les jours et le gendre aussi, vous verrez bien. Voilà un bon moment que je viens avec du patois. Mais cela fait toujours plaisir d’entendre la langue du pays. Faites bien mardi-gras comme si de rien n’y était et donnez ma part ou gardez la pour quand je viendrais vous voir. Embrassez bien la Clémence pour moi