Brillon en émoi
Après la capitulation de Napoléon III à Sedan , le 2 septembre 1870 , la guerre est perdue , c’est la fin du second Empire . A Paris , le peuple acclame la République , un gouvernement de défense nationale est présidé par le général TROCHU . Le 19 septembre , les troupes Prussiennes encerclent Paris . Le premier service postal aérien en ballon est établi entre Paris assiégés et la province . Entre le 23 septembre 1870 et le 28 janvier 1871 , soixante-six ballons postes ont quitté la capitale , transportant 2.500.000 lettres , pesant 11.000kg . C’est l’épopée de l’ un d’eux que je vais vous conter : Le 14 octobre 1870 , à la gare d’Orléans , aujourd’hui gare d’Austerlitz , entre 9h 45 et 10h du matin s’envole le GODEFROY-CAVAIGNAC , propriété de l’administration des postes . Dans la nacelle , ont pris place l’aéronaute Mr GODARD père , Mr de KERATRY membre du gouvernement de la défense nationale et son secrétaire Mr SPULLER . Ils emportent également 300kg de dépêches et six pigeons . Après avoir parcouru quelques 336km , le ballon cherche à atterrir . C’est à ce moment là que la population de Brillon est mise en émoi et se dirige en foule vers la ferme de la BENOYERE (ferme St-Michel) , écart de Brillon . La cause de ce remue-ménage est ce ballon qui vient de passer au-dessus de Brillon et qui cherche à opérer sa descente , demandant assistance pour l’aider et faciliter son périlleux atterrissage Ayant passé au-dessus de Bar-le-Duc , alors occupé par l’ennemi , nos hardis aéronautes se rendent compte du danger et ne se soucient guère de tomber dans les griffes Prussiennes , ce qui rendrait non seulement leurs peines et les dangers courus inutiles , mais leurs personnes ainsi que les dépêches dont il sont porteurs pourraient prendre une autre direction que celle initialement prévue . Après bien des évolutions , marches et contremarches , l’ancre ne voulant pas mordre , les habitants accourent à l’appel des aéronautes , finissent par avoir raison de l’immense machine et l’amènent à terre , où aussitôt parvenue , c’est à qui mieux-mieux fait les plus belles entailles dans ses flancs pour hâter l’expulsion des gaz et en même temps pour faire disparaître le plus vite possible toute trace de descente . Ce qui donne tant d’ardeur aux habitants pour enlever tout ce qui est à terre , c’est que comme il a été dit plus haut , Bar est envahi , les allemands ont aperçu le ballon et se sont mis à sa poursuite , et n’ont quitté la dite poursuite qu’à deux kilomètres à vol d’oiseau du lieu d’atterrissage , endroit qui leur est impossible de préciser grâce à la forêt du haut-juré . Les passagers du ballon , lâchent leurs pigeons voyageurs et remettent leurs dépêches en bonnes mains , se dirigent sur Haironville et de là gagnent Chaumont , laissant à Mme X .. , directrice des postes à Saudrupt , le soin de faire parvenir les lettres . Deux habitants de Brillon , qui se rendaient au bois chercher leurs fournitures avec une charrette et un cheval , MM Adolphe CHODORGE entrepreneur de maçonnerie , et Firmin CHODORGE menuisier , sont réquisitionnés avec leurs voitures pour ramener les dépêches à Brillon et les mettre en sûreté en attendant les ordres de la directrice des postes , prévenue par un express . Cette dame , aussitôt rendue pour procéder à la diffusion des lettres , reconnaît que l’opération est impossible pour une personne seule , surtout à proximité de l’ennemi comme elle l’est , et se résout de les expédier sur Chaumont , non occupé . En conséquence , après avoir préparé des passeports et les papiers nécessaires pour trouver aide près des municipalités situées sur le trajet , elle se met en devoir de trouver les hommes nécessaires . Les deux hommes qui acceptent de rendre les dangereux colis à destination sont encore nos deux braves Brillonnais . Séance tenante , posant à terre les cinq sacs de dépêches , il se mettent en devoir de préparer leur expédition ; Après avoir étendu un lit de paille très propre sur la voiture , ils déposent les cinq sacs sur lesquels ils remettent un autre lit de paille , ainsi que sur les cotés , et par-dessus le tout , une couche de fumier , pour donner le change en cas de rencontre fâcheuse . Et hue cocotte , les voila partis à cinq heures du soir . La nuit les trouve à peine à quatre kilomètres du pays , un marche en éclaireur , avec sa fourche , l’autre conduit le cheval à tour de rôle , s’arrêtant à l’entrée des villages ; l’un garde la voiture pendant que l’éclaireur , après avoir frappé à bon nombre de portes et pour cause , personne ne répond craignant voir apparaître une barbe rousse , fini par trouver un habitant un peu plus luron que les autres qui , par l’entrebâillement d’une porte ou de derrière les volets , le renseigne tant bien que mal , si l’ennemi est signalé , car s’il tombe sur une patrouille allemande , ce n’est pas la légère couche de fumier qui les eut sauvés , le fumier ne se conduit pas à deux heures du matin . Enfin ils arrivent à Joinville où la garde nationale , sous les armes , les arrête et les conduit au poste , sur leur demande , et où Mr le Maire leurs distribue des vivres pour se réconforter , n’ayant pas mangé depuis la veille à midi . Il est quatre heures du matin . On attelle un cheval frais à la charrette et les voilà en route pour Chaumont , où ils arrivent dans la matinée , heureux d’avoir mené à bien leur entreprise , heureux de penser que par leur courage une multitude de lettres allaient rassurer des milliers de famille en proie à des transes mortelles au sujet d’êtres qui leur sont chers . Après avoir été comblés d’éloges et chaudement félicités par Mr le directeur des Postes , par Mr le Préfet , Mr GODARD veut récompenser nos deux héros en leur offrant une somme d’argent ; mais l’un d’eux lui répondit « ce que nous avons fait , et ce que nous sommes encore prêts de recommencer , ce n’est pas pour de l’argent , nous n’avons fait que notre devoir » . Quel bel acte de courage et de patriotisme .
Notes : la partie majeure de cette article est tirée d'un article de l'Indépendance de l'Est du lundi 8 et mardi 9 février 1897. On peut également consulter les sources suivantes : Recueil des dépêches télégraphiques officielles publiées pendant la durée de la guerre 1870-1871, Morlaix, typographie de J Haslé, 1871, page 56. Le Petit Journal du mercredi 19 octobre 1870. Les Allemands à Bar-le-Duc et dans la Meuse 1870-1873, par M J-J Laguerre, Bar-le-Duc, 1874, page 131. Les ballons montés, éditions Aramis, 2003.